TEMOIGNAGE/ Mohamed Lemine Ould Deidah
Suite à l’arrestation arbitraire de Mohamed Ould Debbagh dans le cadre de ce qui est en train de devenir étrangement ‘l’Affaire MauritaniaAiraways’, et ayant occupé le poste de Président du Conseil d’Administration de la société de décembre 2006 à octobre 2009, je dois aux autorités politiques et judiciaires du pays et à l’opinion publique nationale le témoignage qui suit. Je le dois aussi à Mohamed Ould Bouammatou qui a placé sa confiance en moi pour assumer cette haute responsabilité.
Pour faciliter la compréhension du lecteur, j’essayerai de suivre un fil chronologique.
La création d’une compagnie tuniso-mauritanienne de transport aérien a été décidée par les chefs d’Etat tunisien et mauritanien lors d’une visite effectuée en Tunisie au début des années 2000 par le Président Maaouiya. Les deux chefs d’Etat ont également décidé de charger Tunisair et Mohamed Ould Bouammatou (déjà partenaire avec les tunisiens dans MATTEL) de la réalisation du projet.
Mais ce n’est qu’en 2006 que les deux promoteurs ont décidé la création effective de la société, quand la faillite d’Air Mauritanie était devenue évidente et qu’elle n’avait pu trouver repreneur malgré les démarches du Gouvernement, notamment auprès de la RAM.
C’est donc en décembre 2006 que Mauriania Airways fut créée et dotée d’un capital de 10 millions de dollars, Tunisair y détenant 51%, le groupe Bouammatou (BSA) 39% et l’Etat 10% (la participation de l’Etat a été préfinancée par les deux autres actionnaires).
Le partage des rôles entre les deux principaux partenaires a été défini dès la création de la société : Tunisair devait assumer la responsabilité pleine et entière de la gestion financière et technique de l’affaire, le rôle de BSA se confinant à la facilitation auprès de l’Administration. Cet arrangement a été fidèlement reflété dans les documents constitutifs de l’entreprise (statuts et pacte d’actionnaires) et notamment au niveau de la composition du Conseil d’Administration. Le Conseil était en effet composé de 7 membres dont 4 pour Tunisair, 1 pour l’Etat et 2, dont le président, pour BSA. Le président du Conseil n’avait toutefois aucune prérogative particulière, et le Conseil pouvait même valablement délibérer en son absence.
Mauritania Airways démarra ses activités au cours du second semestre de 2007, mais dès le début de 2008, BSA a informé la partie tunisienne, par lettre adressée au ministre tunisien des Transports, de ses réserves quant au non respect par Tunisair de ses engagements (notamment le retard pris dans la mise en place de la flotte cible) et de son insatisfaction quant à la gestion du directeur général tunisien et avait même dénoncé les pratiques népotistes de ce dernier, puisqu’il avait nommé son propre neveu au poste-clé de directeur administratif et financier.
BSA avait d’ailleurs refusé de verser sa part de la 3ème tranche du capital tant que ses réserves n’étaient pas levées.
A la fin 2008, la société a enregistré des pertes dépassant son capital, mais en 2009, l’entreprise a commencé à se redresser, avec l’acquisition, sous la pression de Mohamed Ould Bouammatou, de 2 Boeing 737, âgés de 5 à 7 ans, et d’1 ATR 42. Avec cette nouvelle flotte, la compagnie a en effet pu assurer un réseau de dessertes rentables, couvrant la plupart des capitales ouest-africaines, en plus de Brazzaville, en Afrique centrale, et de deux destinations européennes : Paris et Las Palmas. De plus, Mauritania Airways a pu particulièrement profiter pendant plusieurs mois de sa position d’opérateur unique des lignes Nouakchott-Las Palmas et Nouakchott-Dakar.
Au plan local, la compagnie a assuré 2 vols hebdomadaires à destination de Zouérate, ville notoirement enclavée, et n’attendait d’étendre son réseau national que la mise aux normes des aéroports secondaires.
Au niveau social, la société employait près de 180 agents recrutés pour la plupart parmi le personnel de la défunte Air Mauritanie.
C’est dans ce contexte plutôt prometteur, où Mauritania Airways commençait voir le bout du tunnel, que l’Etat a décidé contre toute logique de créer sa propre compagnie aérienne. Dès qu’ils ont appris cette surprenante décision, BSA et Tunisair ont proposé au Gouvernement, par lettre conjointe adressée au Président du HCE, chef de l’Etat, la cession de leurs parts du capital de Mauritania Airways à hauteur de 66%, Tunisair gardant au moins 34%, en tant que partenaire technique.
Les 2 promoteurs avait étayé leur proposition par le fait que, ‘plutôt que des chercher des profits hypothétiques, il est plus judicieux de préserver ce qui existe’, comme le recommande sagement un adage connu. Mauritania Airways était en effet déjà opérationnelle et pouvait parfaitement assurer l’atteinte des objectifs économiques et sociaux poursuivis par le Gouvernement.
De plus, le marché était déjà exigu pour un seul opérateur, a fortiori pour deux. Par ailleurs, le transport aérien est un secteur à haut risque où les pertes se chiffrent en dizaines de millions de dollars, et où les faillites ne se comptent plus à travers le monde, et en particulier en Afrique. Il serait intéressant à cet égard de connaître la situation de Mauritania Airlines, si ce n’est pas un secret d’Etat.
La proposition des deux promoteurs de Mauritania Airways est non seulement restée sans suite, mais pis, la société a commencé à subir toutes sortes de tracasseries de la part des autorités, qui n’étaient déjà pas très coopératives : refus d’autorisation de handling pour les compagnies tierces alors que la société a investi un montant substantiel pour l’acquisition d’équipements de dernière génération, au prétexte fallacieux de sauvegarde de l’emploi de quelques dizaines d’agents que la compagnie était disposée à recruter pour la plupart ; campagne agressive de débauchage du personnel navigant et technique de la société ; tracasseries aéroportuaires et douanières…
Dans ce nouveau contexte devenu franchement hostile, la faillite de Mauritania Airways était scellée, et le black-listage de l’Agence mauritanienne de l’Aviation civile (ANAC) par l’Union européenne, difficilement imputable à la compagnie, n’a pas amélioré la situation, loin s’en faut, puisque cette mesure privait l’entreprise de dessertes européennes rentables : Las Palmas et, dans une moindre mesure, Paris.
Il est vrai que la décision de cassation d’activité prise unilatéralement par Tunisair et sans concertation préalable avec BSA, et le départ précipité des dirigeants tunisiens qui s’en est suivi sont condamnables et la partie tunisienne devrait s’en expliquer. Mais comment peut-on faire porter la responsabilité de cette situation déplorable à Mohamed Ould Debbagh dont les prérogatives telles que définies dans les statuts sont purement formelles ? Et comment peut-on comprendre que Mohamed Ould Bouammatou ait pu avoir une part de responsabilité dans la faillite de la société, alors qu’il y a déjà investi près de 2 milliards d’ouguiya, et qu’il a intenté un procès à Tuinisair, actuellement en cours devant les tribunaux tunisiens ?
Par contre, la responsabilité de l’Etat est indiscutable, dans la mesure où c’est la création d’une société publique (le fait du Prince) qui a conduit à la faillite de l’entreprise, compromettant ainsi les droits de travailleurs (et d’autres créanciers) mauritaniens et leurs emplois, et faisant perdre un montant substantiel à un opérateur économique national. Et penser que tout cela aurait pu être évité si le Gouvernement avait accepté la proposition qui lui a été faite de porter sa participation au capital de la société à 66% !
Pour finir, je tiens ici à exprimer ma solidarité indéfectible avec Mohamed Ould Bouammatou et mon admiration, non seulement pour le Frère et l’Ami, mais aussi et surtout pour le self made man qui s’est hissé au sommet par son travail et son génie ; pour l’acteur économique de premier plan qui a contribué et contribue toujours au développement du pays par la création d’industries et d’emplois et par le financement de l’économie ; pour le mécène dont la clinique ophtalmologique soigne gratuitement des dizaines de milliers d’indigents annuellement, et dont la Fondation a contribué à l’éradication du trachome, et a réalisé de nombreuses infrastructures socio-économiques au profit de communautés démunies ; pour l’homme au grand cœur qui a financé des dizaines d’évacuations sanitaires, souvent sans même être sollicité …
A mon ami Mohamed Ould Debbagh, j’exprime toute ma sympathie et j’attends avec impatience de le revoir bientôt en liberté.
Le 10 février 2013
Mohamed Lemine Ould Deidah