Niger: “Ma rencontre avec Mokhtar Belmokhtar”
Emissaire sur le front des otages occidentaux au Sahel, le Mauritanien Mustapha Limam Chafi avait raconté en exclusivité à L’Express comment il a rencontré “le Borgne”, qui revendique les attentats au Niger.
Conseiller spécial de Blaise Compaoré, président du Burkina Faso, émissaire aguerri sur le front des otages occidentaux au Sahel, le Mauritanien Mustapha Limam Chafi avait raconté en exclusivité à L’Express, en février dernier, les circonstances dans lesquelles il avait engagé d’âpres négociations avec “le Borgne”. Un témoignage éclairant sur l’univers mental de Mokhtar Belmokhtar, cerveau présumé des attentats-suicides d’Agadez et d’Arlit (Niger), tout comme du carnage du site gazier algérien d’In-Amenas, donné pour mort -à tort selon toute vraisemblance- par le chef de l’Etat tchadien Idriss Déby Itno.
“La première rencontre doit tout au hasard. Après l’enlèvement du diplomate canadien Robert Fowler et de son assistant, en 2008, le président [burkinabé] Blaise Compaoré, sollicité par les autorités canadiennes, s’est tourné vers moi. Il ne s’agissait pas alors de libérer les otages, mais de tenter de collecter des informations. Dès lors, j’ai tenté, avec le concours d’un ami nigérien, d’activer un réseau susceptible de me conduire jusqu’à Belmokhtar. A la frontière malienne, un contact m’a dit que celui-ci n’avait plus aucune confiance dans les émissaires de Bamako, et qu’il souhaitait ma venue. “Il y a auprès de lui de nombreux Mauritaniens qui te connaissent”, m’a-t-il expliqué. J’ai donc pris la route de Gao, à bord d’un 4X4 chargé de vivres et de médicaments.
Ensuite, nous avons roulé à a nuit tombée vers une destination inconnue et fait halte vers 2h du matin, dans un décor dunaire. Pas âme qui vive. Ce fut sans doute la plus grande trouille de ma vie. Après tout, ces gens-là avaient égorgé des officiers mauritaniens et musulmans en plein mois sacré du ramadan. Après avoir reçu de nouvelles coordonnées GPS, nous nous sommes enfoncés dans un désert hostile.
Un peu plus tard, cap sur un troisième lieu de rendez-vous. Là, j’ai vu converger trois pick-up. Nous avons eu droit à une fouille minutieuse du véhicule, tandis que le comité d’accueil ôtait la batterie de mon [téléphone satellitaire] Thuraya. On m’a escorté jusqu’à une colline, où attendaient deux hommes, dont un muni d’une prothèse oculaire. C’est alors que j’ai compris qu’il s’agissait d'”al-Laouar” lui-même [le Borgne en arabe]. “Voici notre émir Khaled al-Abbas, alias Mokhtar Belmokhtar”, m’a confirmé un de ses lieutenants. L’intéressé avait devant lui un ordinateur portable. Sur l’écran, ma photo. Il voulait à l’évidence vérifier que j’étais bien le visiteur attendu. S’est alors engagé le dialogue suivant:
Mokhtar Belmokhtar dit “Le Borgne”.
AFP/HO/ANI
– Désolé pour la fatigue du voyage. C’est bien toi qui es mandaté par le président du Burkina Faso?
– Oui.
– Comment s’appelle-t-il?
– Blaise Compaoré.
– Est-il musulman ou kafir (infidèle)?
A cet instant, j’ai improvisé avec l’aide de Dieu, empruntant au récit de l’hégire -l’exil du Prophète- la figure du négus d’Abyssinie, souverain chrétien mais bienveillant envers les compagnons de l’envoyé d’Allah, venus demander sa protection. “Ce roi monothéiste, ai-je souligné, était lui aussi un homme juste, qui protégeait les opprimés. Le président Compaoré, ai-je poursuivi, est à l’image du négus. Au sein de son peuple, il existe une grande communauté musulmane sur laquelle il veille. Quand Charles Pasqua [alors ministre de l’Intérieur] a expulsé de France des prédicateurs islamistes, il les a accueillis chez lui. Sache que tous le chrétiens ne sont pas tes ennemis.” Apparemment, mon propos a porté.
Nous avons alors commencé à discuter du sort des deux captifs. Et Belmokhtar s’est lancé dans un discours très politique. Il y était question de l’engagement du Canada en Irak et en Afghanistan, des souffrances iniques infligées par les Occidentaux aux Palestiniens. J’ai alors émis le désir de voir Fowler et son compagnon.
– Si j’accepte, où diras-tu les avoir vus?
– Je dirai la vérité. A savoir que j’ignore si je suis en Algérie, au Mali, au Niger ou en Mauritanie. Cela posé, je dois te dire d’emblée que la loi et la constitution canadiennes interdisent le versement de rançon.
– Nous ne sommes pas au Canada. La seule loi qui vaut ici, c’est celle de Dieu.
– Je ne suis qu’un émissaire. Je te transmets les message qui m’ont été confiés.
Après un aparté avec son entourage, “le Borgne” a refusé toute entrevue entre moi et les otages. Il a ensuite envisagé la livraison de photos récentes, voire d’une vidéo; formules bientôt écartées. A défaut, nous sommes convenus d’un rendez-vous téléphonique ultérieur entre les Canadiens et leurs familles.
Le soir, au campement, projection de vidéos assez effrayantes d’attentats commis en Tchétchénie, notamment sous la conduite d’un chef djihadiste manchot. Le lendemain matin, on m’a prié de remettre la nourriture et les médicaments.
– S’agit-il de produits haram (proscrits en islam) ?, m’a demandé Belmokhtar. Viennent-ils du Canada?
– Non. Je les ai achetés moi-même au Burkina.
Avant mon départ, ” l-Laouar” est venu prendre congé. “Le chef ne fait jamais ça, m’a alors affirmé un chauffeur. Tu as réussi ta mission.”
Il avait cette manie de manie de saisir des brindilles et de les casser entre ses doigts
Au terme d’une expédition ultérieure, un djihadiste mauritanien m’a glissé que l’assistant de Robert Fowler serait mis à mort dès que j’aurais quitté les lieux. J’ai donc dit ceci à Belmokhtar: “Je ne partirai que si tu prends l’engagement de n’exécuter aucun de tes prisonniers.” Après concertation avec ses proches, il a accepté.
Quand nous parlions, Mokhtar Belmokhtar ne me regardait jamais dans les yeux. Et il avait cette manie de manie de saisir des brindilles et de les casser entre ses doigts. Un jour, je l’ai vu pleurer devant moi, lorsque je lui ai parlé de son enfance et de ses parents. Son père et sa mère lui avaient, semble-t-il, été envoyés par les services de sécurité algériens. “Ils m’ont demandé de l’aide, m’a-t-il confié, mais je n’ai rien pu faire pour eux. Depuis que j’ai quitté mon pays pour le Djihad en Afghanistan, je n’ai jamais eu un centime à moi. Je ne fais que gérer les fonds de la Guerre sainte, dont je ne suis nullement le propriétaire.”
source:lexpress
Par Vincent Hugeux,