Faillite intellectuelle

Je vais vous livrer un secret: j’ai horreur d’écrire. Je vous en livre un autre : je ne peux pas m’en empêcher. L’acte d’écrire est un acte douloureux parce qu’on  est en face de soi, parce qu’on se regarde, et parce qu’on est obligé de plonger dans les abysses de son moi. C’est pourquoi l’écriture est un acte égoïste : on est seulement soi-même, même si en chacun de nous sommeille une  part d’humanité.

J’ai assisté  il y a deux semaines à Saint-Malo, en France, dans le cadre d’un très beau festival international de littérature-Etonnants voyageurs, cela s’appelle, à un débat intéressant   sur l’écriture, le style, et aussi sur la censure qu’on s’impose ou qui nous est imposée. J’ai remarqué que sur le fond, nous su gens du Sud sommes souvent presque toujours en parfait désaccord avec nos amis, écrivains du Nord . Nous croyons au style, à l’inspiration, au rêve, aux phrases qui se chevauchent harmonieusement. Nous croyons à la magie des mots, Nos amis croient à l’équilibre, ils adhérent souvent à des philosophies de l’écriture, ils tiennent avant tout à donner un sens à ce qu’ils produisent, c’est du moins ce qu’ils aiment affirmer. Même si moi je soupçonne que c’est plutôt les medias qui les obligent à s’évertuer à expliquer ce qu’ils font Nous, au Sud  nous ne donnons souvent pas de sens philosophique à notre écriture. Nous écrivons, c’est tout. Et c’est pourquoi, je crois, la littérature reste l’un des rares domaines où la prééminence de l’Occident n’est pas aujourd’hui  des plus évidentes. Sur la question de la censure, nous avons  bien ri. Nos amis occidentaux dénonçaient la censure insidieuse, les influences occultes, le poids du qu’en dira-t on. Une écrivaine turque a parlé elle de torture sous la dictature, de privation de pain et de vie. Moi, j’ai parlé des vieilles censures d’ici, du langage de bois des organes officiels  des journaux interdits dans les années 90 puis  du poids des traditions. La fille de  Ken Saro Wiwa, écrivain nigérian ne disait rien : son père avait été pendu sous le régime d’Abacha.  Nous avions envie de leur dire » Vous êtes gonflés, vous qui pleurez les petites misères alors qu’ailleurs la mort, la torture, les interdictions sont encore rois ». Mais la véritable question est, je m’en rends de plus en plus compte, le fossé énorme qui existe en matière d’offre culturelle entre l’Occident et nous. Leur richesse ce n’est pas leurs usines, ni leurs entreprises, ni toute leur technologie, leur richesse  ce n’est pas Walll-Street ni le CAC 40, leur richesse, c’est le livre, c’est le savoir. Ils ont les bibliothèques publiques les plus étendues et les plus performantes. Partout vous pouvez lire, apprendre, partout vous pouvez emprunter des livres, les recevoir, les médiathèques foisonnent, les salons du livre ouvrent partout, les maisons d’éditions pullulent. Dire qu’ici ils ont eu le culot de transformer les maisons du Livre en centres d’Etat civil ou je ne sais quoi et  de bruler ou laisser pourrir  des milliers d’ouvrages  parce que « c’est un héritage de l’ancien régime. » !  Il s’agissait  là d’un signe  évident de faillite intellectuelle. Aujourd’hui plus que jamais nous avons besoin d’une vraie politique du Livre, sans folklore, mais vraiment sans folklore.  

  mbarek beyrouk

مقالات ذات صلة

زر الذهاب إلى الأعلى