Derna sous le choc d’une exécution publique

Un groupe extrémiste de Derna lié à al-Qaida a imposé sa propre vision de la Sharia, mardi 19 août, en fusillant un jeune homme dans un 

stade de football de la ville.

Le Conseil de la Shura de la jeunesse islamique avait accusé cette victime égyptienne d’avoir tué un autre homme lors d’un vol à main armé, vendredi dernier à Shail al-Sharqi.

“Ce jeune Egyptien a été condamné à mort, et son exécution par son propre frère a eu lieu au stade municipal de Derna”, a déclaré l’ancien membre du conseil local Mohamed Mohamed.

Dans une vidéo publiée en ligne, la victime est vue entourée d’une dizaine d’hommes masqués portant des fusils. Un grand drapeau noir d’al-Qaida est brandi par des membres de la Jeunesse islamique.

“Ce n’est pas le premier cas de ce genre à Derna ; ce genre de peine a déjà été exercé auparavant”, a expliqué Mohamed à Magharebia. “Deux hommes ont déjà été exécutés en public en présence d’habitants de la ville, pour avoir tué un citoyen et avoir reconnu les faits”, a-t-il précisé.

“Ce groupe dirige les affaires de l’Etat et de la justice dans la ville”, a-t-il ajouté.

Selon Hassiba Hadj Sahraoui, vice-directeur d’Amnesty International pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, “ce meurtre hors-la-loi traduit les plus grandes peurs des Libyens ordinaires.”

“De tels actes ne peuvent qu’entraîner de nouvelles atteintes aux droits de l’Homme à Derna, où les habitants n’ont aucun recours auprès des institutions de l’Etat et, partant, aucun moyen d’obtenir la justice ni une protection effective contre ces atteintes”, indique le site web de l’organisation de défense des droits de l’Homme rapportant ses propos.

Les habitants de Derna ont fait part de leur colère après cette exécution décidée sans aucun procès ni aucune décision de justice.

“Que soient damnés les partisans des Kharijites et des groupes takfiristes”, a déclaré Mahmoud Abdelati, 43 ans, un habitant de la ville. “Ils vivent dans une jungle, que Dieu les damne ! Ils veulent effrayer les habitants par cette condamnation. Ils agressent également les gens chez eux et enlèvent leurs filles contre leur volonté sous le prétexte de les marier.”

L’année dernière, Ansar al-Sharia a officiellement ouvert sa branche à Derna sous le slogan “Etape supplémentaire sur la voie de la construction de l’Etat islamique”. Ce groupe lié à al-Qaida a également créé de nouveaux comptes sur Twitter et Google Plus pour promouvoir ses campagnes locales.

Sufian al-Quma, dirigeant d’al-Qaida et ancien chauffeur d’Oussama ben Laden, dirige une grande partie de cette ville de 90 000 habitants.

“La ville de Derna est perdue et est devenue un émirat islamique aux mains du chauffeur de ben Laden, d’autres terroristes et des partisans d’Ansar al-Sharia”, explique Said al-Obeidi, un enseignant de la ville. “C’est la raison pour laquelle ils font exploser des tribunaux et tuent les juges et les policiers, pour empêcher la mise en place d’un Etat.”

“Nous avons maintenant des tribunaux de la Sharia dans les rues et sur les places, et demain, Sufian al-Quma sera intronisé “calife” de l’émirat de Derna”, ajoute-t-il.

Et cet habitant de Derna de s’interroger : “Avons-nous pris part à la révolution uniquement pour remettre la Libye entre les mains de l’Etat islamique (EIIL) et des terroristes ?”

“N’oubliez pas que Derna est depuis un certain temps hors de tout contrôle par la Libye”, ajoute Najia al-Tarkaoui, enseignante de 32 ans. “La ville n’a pas participé aux élections législatives ou municipales, car les terroristes ont déclaré que la démocratie était interdite.”

Pour sa part, Jihad Firas, 32 ans, explique : “Ce qu’ils ont fait au club est contraire à la Sharia ; il aurait dû y avoir un juge pour entendre et savoir pourquoi et comment cet assassinat a eu lieu.”

“C’est l’âme d’un être humain qui a été ravie”, ajoute cet ingénieur. “La Sharia n’a rien à voir avec eux.”

Magharebia